René Guy & Hélène CADOU
La vie de René Guy Cadou se déroule sur une trentaine d’années et quelques centaines de kilomètres à peine, nous menant de Sainte-Reine de Bretagne, où il naît, en bordure des marais de Brière, à Louisfert, où il meurt, au nord de Nantes. De cette géographie réduite comme de cette vie brève et sans histoire, émerge l’un des pics du lyrisme contemporain. Un lyrisme élaboré dans la simplicité, l’authenticité, l’amour et l’amitié des biens de ce monde. Se sachant tôt condamné à une courte existence, le poète affronte la mort, lutte contre elle, et élabore un chant solaire stupéfiant de maturité, de maîtrise.
René Guy Cadou naît le 15 février 1920 à Sainte-Reine de Bretagne (Loire Atlantique), de parents instituteurs. Son enfance est une fête permanente à l’écoute de la nature, de la Brière enchanteresse et dans l’amour des parents, Anna et Georges : Tendres parents… - je suis sûr de ne pas me tromper quand je vous chante dans les manifestations de l’univers. René Guy : le poète n’acceptera jamais qu’un trait d’union soit placé entre ses deux prénoms. La raison réside dans la mort de Guy, son frère aîné, à l’âge de dix-huit mois, d’une méningite. Cadou va apprendre à vivre avec ce double, à Sainte-Reine. Cette enfance est un paradis perdu. C’est aussi la sève du poème de Cadou.
En 1932, c’est le premier drame : René perd sa mère, âgée de quarante ans. On meurt jeune chez les Cadou : Il n’y a plus que toi et moi dans la mansarde – Mon père – Les murs sont écroulés – La chair s’est écroulée – Des gravats de ciel bleu tombent de tous côtés. - Je vois mieux ton visage – Tu pleures – Et cette nuit nous avons le même âge… Il n’y a plus personne – Et tu es là mon père – Et comme un liseron – Mon bras grimpe à ton bras – Tu effaces mes larmes – En te brûlant les doigts. En 1935, René écrit ses premiers poèmes. L’école ne le fascine guère. Il lui préfère, et de loin, la lecture, les promenades en ville et dans la campagne avoisinante. Un jour de 1936, une villégiature dans le quartier nantais de la brocante, le mène devant la vitrine d’une librairie. Le jeune homme qui accueille Cadou, n’est autre que Michel Manoll. Une amitié rare et puissante va se nouer entre les deux poètes. Manoll sera le découvreur, l’éveilleur, le mentor, l’ami et le confident. En août 1937, Cadou publie son premier recueil : Les Brancardiers de l’aube. Trente-deux volumes ou plaquettes suivront en treize ans. Treize ans, c’est la durée de vie qui reste au poète. Manoll l’entraîne dans l’aventure, lui présente Reverdy et Max Jacob, lui fait lire Apollinaire, les surréalistes et bien d’autres, y compris les plus jeunes qui deviendront leurs frères de sang à tous les deux.
En janvier 1940, c’est le deuxième drame. Le père disparaît : O mon père j’avais choisi ce toit pareil à ton épaule – Et lentement tu devenais – Comme lui un profond sommeil. René, effondré, accourt à Saint-Benoit-sur-Loire, sur l’invitation de Max Jacob. Ce sera leur première et unique rencontre. Jacob confie au jeune poète : « J’ai parlé pour toi au chemin de Croix : mon dieu ayez pitié de René Guy Cadou qui ne sait pas que ses vers sont le meilleur de vous. »
De juin à octobre 1939, René est mobilisé. De retour après la débâcle René est nommé instituteur à Mauves-sur-Loire, près de Nantes. Au printemps 1941, Jean Bouhier, qui réside à Rochefort-sur-Loire, un petit village de l’Anjou, émet le désir de créer une « École » de poésie. Le projet de Bouhier vise à rassembler des poètes qui, tout en gardant une liberté entière d’écriture, de mouvement et de pensée, vont se regrouper autour de valeurs communes : la poésie, l’amitié, la terre, la liberté, l’amour, et ce, loin de tout mot d’ordre, comme de toute idéologie. Bouhier contacte Cadou, qui est très enthousiaste. Manoll, Rousselot, Bérimont, Béalu et bien d’autres ne tardent pas à se rallier au petit groupe. L’École de Rochefort est née : « Le poème peut être fonction du moment, la poésie est fonction de l’homme. » Cadou précise : « Avant tout, vous autres, ne soyez pas dupes ! L’École de Rochefort n’est pas une école, tout au plus une cour de récréation. Ne cherchez pas les marbres et les syntaxes derrière sa façade, les lignes difficiles au bord du tableau noir. L’écolier siffle les mains dans les poches, le dos tourné au professeur. » René Guy Cadou est le plus jeune de la bande.
Alors que la France est écrasée sous la botte du fascisme, Rochefort va devenir l’une des principales plaques tournantes de la poésie française durant l’Occupation. Toutes les publications de l’École de Rochefort ont un dénominateur commun : les fêtes solaires de l’amitié et les angoisses d’une jeunesse mue par la passion de la poésie et l’amour de la liberté. L’aventure dure jusqu’en 1944. Sous l’égide de Rochefort, Cadou enchaîne les publications. Mais, le jour d’entre tous les jours pour René, c’est le 17 juin 1943. Il rencontre Hélène, une jeune étudiante de Nantes. C’est le coup de foudre.
L’amour d’Hélène, la fraternité des amis, le soutien de Max Jacob et de Pierre Reverdy (« Pour remplacer cette « Ferraille », c’est vous, mon cher Cadou qui forgez le plus beau et le plus fin métal. J’en aime l’éclat plus que celui de tout autre de ce temps »), tiennent le poète debout et lui donnent la force nécessaire dont il a besoin pour poursuivre son œuvre-vie. Il est alors âgé de vingt-trois ans : « Ma poésie vaut ce qu’elle vaut, mais il n’entre pas dans mon ambition d’en faire un sphinx, un hébreu, une patiente réussite d’échecs qui ne pourraient intéresser qu’un petit club de gentleman attardés. J’écris comme je parle, en plein vent et tiens à ce qu’on m’entende. Je cherche surtout à mettre de la vie dans mes poèmes, à leur donner une odeur de pain blanc, un parfum de lilas, la fraîcheur d’une tige de sauge ou d’une oreille de lièvre. Est-ce ma faute à moi, si mon amour est sans histoire ? » René est instituteur au château de la Chesnaie, lorsqu’il apprend la mort tragique de Max Jacob : « Max a été assassiné. Et qui accuser sinon l’homme, c’est à dire l’intelligence ? » René plonge de plus belle dans le paysage de ses poèmes.
Dès l’après-guerre, les amis de Rochefort montent tous vivre à Paris, sauf René qui demeure dans son pays de Loire, avec Hélène à Louisfert, un petit village isolé où il vient d’être muté. Cadou écrit tous les soirs au beau milieu de : ce pays plat barricadé d’étranges pommiers à cidre. En 1946, Cadou publie Pleine poitrine, qui est son recueil le plus engagé. Nous pouvons y lire le poème « Les Fusillés de Chateaubriant ». Mais, le bonheur n’est pas éternel. Hélène n’est pas dupe : « Je savais que notre bonheur allait chavirer dans le noir, qu’un matin il n’y aurait plus rien que des murs vides. » Cadou est rongé par le cancer. Hélène témoigne : « Le médecin de l’Hôpital et moi, nous nous regardons comme des vaincus. » Deux interventions chirurgicales en 1950, n’y feront rien. « J’eus la faveur insigne et douloureuse de vivre avec lui ses dernières heures de vie, sa main dans la mienne le plus souvent... « La poésie est peut-être inutile » me dit-il, du moins permet-elle l’amitié et rapproche-t-elle les hommes », me dira Jean Rousselot. C’est dans les bras de Jean, que René Guy Cadou s’éteint le 20 mars 1951, au soir. Dès lors, et grâce à ses amis Jean Rousselot et Michel Manoll, l’œuvre va prendre son envol. Les Biens de ce monde, est la première pièce de cet édifice que Rousselot fait publier chez Seghers.
Hélène Cadou (née Hélène Laurent, à Mesquer, Loire-Atlantique, le 4 juin 1922) va survivre 64 ans à René Guy. « L’absence aura été cette chose que je n’ai jamais pu comprendre qui m’est demeurée comme étrangère. Jusqu’à la dernière minute, tu as été présence, tu as donné sens au monde… Il me suffit de fermer les yeux dans le silence, pour deviner, sous ma main, la chaleur de ton poignet, pour sentir en moi cette paix rassurée », écrit Hélène.
Après la mort de son poète, Hélène quitte Louisfert pour exercer le métier de bibliothécaire à Orléans jusqu'en 1987. Elle travaille d’abord avec Georges Bataille, qui vient de prendre la direction de la bibliothèque, jusqu’à la mort de celui-ci en 1962. Elle développe à Orléans une activité culturelle intense, notamment en tant que présidente du Centre d’action culturelle d’Orléans et du Loiret, puis de la Maison de la culture de 1967 à 1975. Elle collabore notamment pour ce projet avec le grand écrivain breton Louis Guilloux. Elle écrit à Orléans une grande partie de son œuvre poétique, dont l’essentiel paraît, à partir de 1977, chez Rougerie et chez Jacques Brémond : 23 recueils entre 1977 et 2003 : « J’écris… contre le temps qui nous fige », nous dit Hélène, qui prend sa retraite en 1987 et se consacre pleinement à sa poésie et à la popularisation de l’œuvre de René Guy Cadou en intervenant dans de nombreux lieux à travers la France. Hélène prolonge le dialogue que René Guy avait avec la nature, car elle ne cesse de l’y retrouver au cœur du silence ou dans les blés, le monde végétal est ressourcement. Hélène revient habiter Nantes en 1993, pour y créer le « Centre René-Guy-Cadou ».
Jusqu’en 2008, Hélène partage son temps, entre l’école de Louisfert, l’été, et Nantes, l’hiver. L’école de Louisfert devient une maison-musée- sanctuaire, « La Demeure René-Guy-Cadou », musée maison d’écrivain, lieu de mémoire du poète, où elle reçoit volontiers et chaleureusement les amis et les lecteurs de René Guy. Hélène meurt le 20 juin 20144, à l’âge de 92 ans. Elle est inhumée avec son époux, au cimetière de La Bouteillerie à Nantes.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
À lire (René Guy Cadou) : Poésie, la vie entière, œuvre poétique (éditions Seghers, 1976. Rééd. 2001), Mon enfance est à tout le monde (Jean Muniern, 1969. Rééd. Éditions du Rocher, 1985, Le Castor astral, 1995), La Maison d’été, roman (Debresse, 1955. Rééd. Castor Astral), Testament d'Apollinaire, essai (Debresse, 1945), Guillaume Apollinaire ou l’artilleur de Metz, essai (Chiffoleau, 1948. Rééd. Rougerie), Monts et Merveilles, nouvelles fraîches (Éditions du Rocher, 199)7.
À lire (Hélène Cadou), poésie : Trois poèmes (P.A.B 1949), Le bonheur du jour (Seghers, 1956), Cantates des nuits intérieures (Seghers, 1958), Les pèlerins chercheurs de trèfle (Rougerie, 1977), En ce visage l’avenir (Jacques Brémond, 1977), Miroirs sans mémoire (Rougerie, 1980), L’Innominée (Jacques Brémond, 1980), Une ville pour le vent qui passe (Rougerie, 1981), Le jour donne le signal (Christian Dorrière, 1981), Longues pluies d’Occident (Rougerie, 1983), Poèmes du temps retrouvé (Rougerie, 1985), Demeures (Rougerie, 1988), Mise à jour (Librairie bleue, 1989), Retour à l’été (Presses universitaires de Nancy, 1993), La mémoire de l’eau (Rougerie, 1993), Le livre perdu (Rougerie, 1997), De la poussière et de la grâce (Rougerie 2000), Si nous allions vers les plages (Rougerie, 2003), Le semainier (Librairie bleue, 2006), Le prince des lisières (Rougerie, 2007), Le bonheur du jour (Bruno Doucey, 2012).
Proses : C’était hier et c’est demain (Éditions du Rocher, 2000), Une vie entière (Éditions du Rocher, 2003), La presqu’île guérandaise (Ouest France, 2006).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : Poètes bretons pour une baie tellurique n° 57 |